Se débarrasser de la pression de bien faire – Entretien avec Mark Jane


L'improvisation / mardi, octobre 9th, 2018

Les 16 et 17 septembre dernier, j’ai eu la chance de rencontrer Mark Jane, de passage à Bordeaux pour son spectacle Trio et pour animer un stage sur le thème « Getting in and out of trouble ». A cette occasion il m’a accordé une interview que je vais vous synthétiser ici. A lire avec un accent « so british » of course ;)

A noter, vous pouvez retrouvez l’interview complète en audio sur mon Anchor sachant qu’il ne s’agit pas d’une interview radiophonique mais des données de l’interview brutes (il y a une heure de discussion).

Mark Jane Trio Improv
Un spectacle qui détonne

Peux-tu présenter ton spectacle « Trio » ?

L’idée est simple, je prends deux personnes du public, qui n’ont jamais fait de théâtre et surtout pas d’impro, et ils montent sur scène avec moi. L’idée est que pendant une heure on va raconter une histoire ensemble. Ce qui est important c’est que ce sont eux les personnages de l’histoire et moi je fais les personnages secondaires, le décor et le narrateur.

En général les gens sont super intimidés et flippés, mais c’est le but, ils doivent pas être trop confiants, ce ne serait pas normal ! On espère les voir petit à petit se transformer au cours du spectacle. C’est pas une science précise, parfois on a des gens très timides parfois ils se lâchent et je dois encadrer leur énergie. Le but c’est qu’ils passent un super moment ! Qu’ils soient les dieux de la soirée.

Bordeaux est une terre ancienne du match d’impro, comment convaincre quelqu’un de passer du short form vers le long ?

Il ne faut pas chercher à forcer les gens, à les convaincre de faire autre chose. Par contre c’est important de montrer qu’il y a d’autres choses ! C’est comme si au théâtre classique on disait qu’il n’y a que Roméo et Juliette et que tout le monde ne jouerait que ça, et que tout le monde dit : c’est ça le théâtre.

D’accord, et pour quelqu’un qui n’a fait que du match, du short form et qui veut se mettre à autre chose, quels seraient tes conseils pour « oublier » les réflexes qu’on lui a inculqué ?

« Prends plus de temps ». C’est super simple, c’est super con mais c’est le meilleur conseil ! En vrai c’est la seule différence. Au bout, quand tu fais beaucoup de short form, t’es formé à faire beaucoup de tact au tac, rebondir, et aussi à terminer les histoires rapidement.

Tout les réflexes d’être dans l’instant, les bases sont les mêmes, c’est surtout une question de prendre son temps. Souvent ceux qui passent de l’un à l’autre finissent les histoires en 10 minutes, alors je passe mon temps à dire « prend ton temps ! ». Inversement, certains ont du mal à être efficaces en short quand ils viennent du long.

Au final je pense que c’est très important que les improvisateurs fassent les deux.

Question cash : Personnage ou relation ?

On m’a jamais posé cette question… Relation !

Parce que le danger, c’est d’être centré sur son personnage alors que l’histoire c’est ce qui se passe entre moi et l’autre ! C’est là où toute l’histoire va être générée. Le personnage est là pour provoquer quelque chose de relationnel.

Est-ce que tu as des gimmicks de joueurs avec qui tu as du mal a jouer ?

Et bien tu sais quoi ? C’est toute la thématique du stage de ce weekend !

Je dis souvent que quand on joue, il faut une part de malice, de s’amuser à foutre l’autre dans la merde. Il faut que l’autre soit prêt à recevoir ça ! Je pars du principe qu’on ne peut rien faire pour détruire une impro.

Le souci c’est plutôt quand quelqu’un fait quelque chose pour détruire une impro mais que le partenaire reçoit ça de façon négative et conflictuelle. C’est la que ça devient problématique ! Alors que c’est souvent des cadeaux, si on est capable de les recevoir comme tel, ça peut transformer ta façon de jouer.

Du coup tu peux jouer avec n’importe qui ! J’ai jamais eu de problème à jouer avec un improvisateur parce qu’aucun improvisateur est assez con pour essayer de détruire une impro ! Malheureusement, parce que ça serait super !

La seule fois où j’ai eu du mal, et c’est le but de Trio justement, de se mettre dans une situation délicate. Les gens du public sont très maladroits et font des choses « très mauvaises ». J’ai eu une fois quelqu’un de très compliqué, mais au bout de 20 minutes, il s’est débloqué, il avait pas vraiment le choix !

C’est bien de monter sur scène en se disant « je vais te mettre dans la merde ». Parce que c’est ça que le public veut voir, il veut voir le comédien en difficulté, en insécurité.

Du coup, ça serait qui la personne idéale avec qui jouer ?

Je ne sais pas qui serait l’improvisateur idéal …

En extrapolant à fond, est-ce qu’avec Keith Johnstone lui même ?

Haha, Johnstone il est jamais sur scène, il déteste jouer. Il avait fait une fois quand il était jeune, mais déteste ça. Il serait affreux, il joue jamais jamais ! C’est une cata ! Il dirige beaucoup par contre ! 

Par contre il y a des gens avec qui je peux aller sur scènes les yeux fermés, ce sont ceux qui, je pense, sont à un niveau de détente, où ils sont débarrassés de la pression de réussir, et surtout de la pression d’être drôles. Ils sont dans un esprit très ludique, « allez, on va se marrer ensemble ! »

C’est quelque chose qui vient avec l’expérience.

Alors que les ateliers sont souvent paritaires, on a parfois du mal à faire jouer les femmes en match, est-ce que tu as remarqué ça et comment y remédier ?

Je pense que les garçons sont plus chauds sur scène parce qu’on les a préparés à faire les kékés sur scènes, donc ils sont plus « aptes » à se lancer. Alors que les filles sont moins poussées vers ça.

Le format « match » est pas forcément le meilleur pour justement lancer des gens. Il y a deux solutions : soit il faut les obliger à le faire, c’est un peu la logique brutale, ça peut marcher pour certaines mais voilà …

L’autre solution, c’est de présenter d’autres types de formats que le match où elles seraient plus à l’aise pour se lancer.

Il y a la pression du jugement qui est réelle c’est vrai, à chaque impro tu es jugé ! Est-ce que toi dans tes ateliers long form tu as plus de femmes qui jouent plus facilement ?

Aucune idée ! Je crois qu’instinctivement oui, maintenant que tu le dis, je pense que c’est le cas, dans les ateliers que j’anime je vois plus de filles qui demandent. C’est intéressant de proposer quelque chose de moins compétitif.

Par exemple, dans le Maestro, comme spectacle de transition, c’est pas trop différent, car il y a une logique de compétition. Mais ce qui est important c’est que c’est la scène qui est jugée et non le joueur.

En impro, on utilise souvent des lieux communs, des clichés pour transmettre des informations rapidement, est-ce que tu penses que c’est quelque chose de bien ?

On me pose souvent cette question sur les clichés. L’intérêt d’un cliché c’est que c’est immédiat, que tout le monde peut connecter avec, le partenaire et le public. Le cliché sert à ça, efficace et rapide pour mettre les choses au clair.

Ce qui est important c’est ce qu’on met derrière, l’amener vers autre chose et l’enrichir. Le seul frein, c’est les improvisateur qui osent pas. Peut être que le travailler en atelier, de proposer d’autres choses, d’avoir cette gymnastique d’esprit.

Personnellement je n’ai pas de super souci avec quelqu’un qui fait un « accent débile ». Si c’est pas fait en mode « alors je fait un accent drôle pour que tout le monde rigole de l’accent ». Si c’est juste fait « parce que j’ai envie de jouer un personnage à fond et établir un univers directement », je comprend pourquoi ils le font. Si c’est pour incarner un personnage à fond, pourquoi pas. Si c’est juste pour être drôle, là, ça sert à rien.

Pour moi c’est plus dans le traitement que dans le fait de le faire, le contexte joue aussi bien sûr.

Parlons de ton livre : Dans ton livre, tu dis t’inspirer du quotidien, comment il t’inspire et est-ce que tu as des exemples ?

C’est souvent des mini-trucs, des bribes de conversations. Par exemple, deux filles qui avaient une façon de parler d’un garçon, c’est ça que je vais essayer de reproduire.

En Maestro, j’avais proposé à deux comédiennes de refaire cette scène. Et après, j’essaye d’ajuster le ton pour retrouver ce que j’avais vu avant.

Avec Trio, souvent, il y a deux choses : J’essaye de regarder de bandes annonces de films (et des films !) parce que l’idée est de reproduire un univers cinématographique. Du coup j’ai le risque de tomber dans une certaine routine. Je travaille surtout sur le début, la Scène 1, le déclencheur, pour ça je pioche autour de moi et je teste sur scène. Pour me donner un début qui va forcément me lancer dans quelque chose que je connais pas.

Maintenant j’essaye plutôt de me mettre dans une forme de méditation, de transe pour se mettre dans un bon état d’esprit. Un peu comme Vogler, j’essaye d’ouvrir mes chakras aux autres. Il faut que je sois ouvert et bienveillant envers les gens qui vont venir sur scène.

Du coup, ton livre, pourquoi et comment ?

Le Pourquoi, c’est parce que ça fait longtemps que je me dis que j’ai envie d’écrire un livre. C’est un concours de circonstances, comme d’habitude. Pendant des années je me disais « je suis pas prêt ». Surtout que tu évolues tous les ans. Au bout d’un moment je suis arrivé au point du « j’ai quelque chose à dire » basé sur les stages et les ateliers que je donne.

J’ai vu aussi qu’en français il n’y avait pas beaucoup de littérature, il y avait un marché à prendre, une place à occuper sur ce sujet.

Il y a 4 ans, à une conférence de Christopher Vogler, Dixit, qui organisait la conférence et qui édite Vogler en France, ils m’ont dit « vient chez nous, on te montre comment faire ! ». Il m’a fait venir, on a sympathisé, je lui ai présenté le livre de Keith Johnstone que j’avais traduit à ce moment là. Ils ont trouvé ça super et entretemps, on a noué de bonnes relations.

Puis bêtement, il y a deux ans, je dis à Dixit « je vais peut être écrire un truc sur l’impro » et il m’a dit « pas de soucis prend ton temps, quand t’as fini viens me voir ». Et un an et demi après il a dit oui !

Merci à toi ! Quelque chose à ajouter pour finir ?

Quand tu me demandes « pourquoi t’as écris le livre » quelque chose me revient. Je voulais écrire sur quelque chose dont personne ne parle dans l’impro, c’est pour ça que j’ai fait un chapitre sur les masques. J’ai voulu parler du masque et de la technique pour essayer de le rendre abordable. Idem pour le voyage du héros.

Voilà pour cette interview ! Vous pouvez écouter l’enregistrement complet de l’entrevue qui, bien que moins structuré, est plus exhaustif. En effet, pour des raisons évidentes, j’ai dû synthéthiser ce qui s’est dit, j’espère sans trahir le propos.

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